rythme infernal

Publié le par Sarah

7h20. J'enfourche mon vélo bleu rouillé acheté il y a quatre ans au supermarché du coin pour 30 euros, sac à dos bien rempli et vêtement de pluie de rigueur. La saison humide a commencé, et comme tous les matins, je joins les hordes de cyclistes waterproof en me couvrant de ma bache en plastique bordeaux.

Esquivant les petits malins qui roulent à contresens, les bus qui roulent dans les pistes cyclables, les vendeurs à la sauvette et les vieux qui descendent du bus sans regarder, je fais mon chemin vers l'hôpital.

7h30, je m'arrête devant le stand ambulant qui vent des rouleaux de riz et des raviolis vapeurs le matin, au coin de la rue, au milieu des voitures et des passants. Comme tous les matins je commande en chinois et comme tous les matins, le vieux édenté est mort de rire. Je repars aussi vite avec mon 饭团 et mon verre de lait de soja.

7h40, j'arrive à l'hôpital, je gare mon velo et courre dans les escaliers. Je trouve un coin pour avaler une bouchée de riz, debout, en me faisant pousser par les patients pressés de monter les étages. Pas le temps de manger plus, je dois trouver une chaise libre dans l'immense sale d'attente aussi bruyante et grouillante qu'un hall d'aeroport pour poser mon sac et vite fait enfiler ma blouse.

7h45, je rentre dans la sale de consultation. Le docteur Shen, grand ponte de gastrologie, a déjà expédié 9 patients. Je cours dans tout l'étage pour trouver un tabouret libre, le traine jusque dans la salle et commence à copier frénétiquement tout ce que les patients disent.

Bien entendu, le vacarme de la salle d'attente et des annonces au haut-parleur appelant les patients dont le tour est arrivé à se rendre en salle est renforcé par celui des conversations des patients qui font la queue dans la salle, des vieilles qui beuglent dans leur telephone (ben oui, l'interlocuteur est loin, il faut parler tres fort pour qu'il entende, c'est logique), et des dames qui s'insultent en s'accusant de vouloir doubler tout le monde.

Le patient docteur Shen ausculte une dame qui souffre de renvois acides, tout en dictant une formule à son assistante qui tape tout sur l'ordinateur, tout en répondant à une autre personne dont l'echographie vient de révéler des calculs biliaires et qui demande si elle peut manger des oeufs. Au milieu de tout ca, le professeur Shen me demande de prendre le pouls du patient et m'interroge. Bien évidemment, je me plante.

Il me faut utiliser toute ma concentration pour entendre et comprendre ce qui se passe, filtrer les informations nécessaires au milieu d'un brouhaha surréaliste. Je tente tant bien que mal de photographier les prescriptions qui defilent sous mes yeux à la vitesse de la lumière. Je n'ai pas le temps de les comprendre.

9h05. J'ai le vertige, l'estomac qui gargouille, les genoux qui grincent, et très peu d'espoir en réserve de devenir un bon praticien de médecine chinoise un jour. Je copie de maniere automatique, je cours après les patients pour photographier leur prescription, je réponds aux questions du prof (à coté de la plaque, souvent). J;ai des palpitations et je creve de faim mais je n'ai pas le temps de prendre une pause.

10h30, 45 patients de passés, il en reste encore 38 dans la queue. Un étudiant prend la tension d'un homme qui présente des vertiges. Soudainement, tous les autres patients présents dans la salle se précipitent vers le malheureux apprenti pour connaitre leur tension : c'est l'attraction de la matinée.

Le vieux Shen se prepare à prescrire des plantes pour un jeune qui se plaint de diarrhées pendant qu'une curieuse se penche au dessus de mon épaule pour regarder les photos de sa coloscopie. Sa fille la tire par la manche en lui disant que ce n'est pas poli de regarder à l'intérieur du trou de balle du voisin (nan mais sans dec).

11h15 J'ai tellement faim et mal aux fesses sur mon tabouret que je n'ai même plus la force de recopier quoi que ce soit. Je regarde dans le vide et le vieux Shen s'active. Il me piège encore une ou deux fois. Parfois il m'a meme pas le temps d'ecouter la réponse que je donne à ses questions, car monsieur truc n'a pas compris si il devait prendre sa pilule avant ou après le repas et se sent obligé d'hurler dans la salle. Ici, c'est comme sur la route. Priorité à celui qui fera le plus de bruit.

12h00. Il reste encore au moins 20 patients mais le vieux Shen a pitié de moi et me dit de partir manger. Je rentre chez moi sous la pluie en mangeant mon petit dejeuner froid. Mes palpitations reprennent de plus belle et mon esprit ne parvient pas à se calmer.

Et maintenant, attaquons l'après midi.

Que celui qui me dira que son environnement de travail est stressant vienne faire un tour dans un hopital chinois voir si j'y suis.

rythme infernal

Publié dans médecine chinoise

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A
Bon courage vous etes très courageuse de travailler dans un environment. Personnellement ca me gave deja d aller a l hôpital chinoise avec tous ces indiscrets mal poli qui s agglutine quand tu es consultation avec le médecin ... c est infernal
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J
Merci pour ces tranches de vie à la chinoise que tu nous fais partager! je ne m'en lasse pas et ça me rappelle pas mal de souvenirs! bon courage :)
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